Werner Strub et le théâtre

 

Werner Strub, facteur de masques suisse (1935-2012) est incontestablement la référence majeure dans le domaine des masques de théâtre en tissus.

D’abord attiré par les masques de commedia dell’arte d’Amleto Sartori, il commence à travailler le cuir de manière autodidacte avant de se diriger vers le tissu, auquel il incorpore des éléments végétaux, de la fourrure ou d’autres matières encore.

 

Sa technique bien à lui s’affranchit des codes et des conventions. Son travail, d’une précision inouïe, invente à chaque fois un personnage extraordinaire, plein d’une humanité désarmante ou d’une bestialité effrayante, parfois les deux en même temps. Il collabore avec les grands noms du théâtre suisse comme Benno Besson.

Sur la fin de sa vie, Werner Strub se tourne vers un travail très différent : les masques en fil. Simples, délicats, transparents et d’une expressivité étonnante, ces masques qui sont comme la mue du serpent donnent à voir le vide qu’il contiennent, la trace de l’homme dans le temps.

La trace de Werner Strub dans l’histoire du théâtre et celle du masque est immense, tout comme sa production qui ne cessera pas de sitôt d’inspirer les artistes.

Les masques au théâtre

Le masque de théâtre est aussi vieux que le théâtre lui-même. C’est dans la Grèce antique qu’on trouve ses origines. À l’époque, le théâtre a une dimension sacrée. L’homme ne peut pas se montrer sur scène avec son vrai visage, ce serait une offense pour les dieux à qui il s’adresse autant qu’aux spectateurs. Le masque est aussi là pour grossir le visage : les lieux de théâtre sont immenses et les derniers rangs très éloignés des acteurs. Les masques servaient-ils aussi de porte-voix ? C’est probable. En tout cas le texte a une importance majeure. C’est le texte que l’on vient écouter, il n’y a aucun souci de réalisme en ce qui concerne le jeu des acteurs.

On retrouve cette dimension sacrée dans le Nô, théâtre traditionnel japonais. Le Nô est la forme théâtrale la plus aboutie de la civilisation japonaise. Codifié dans sa forme actuelle au XIVe siècle, il trouve sa source dans des danses et pantomimes religieuses plus anciennes encore. Les masques Nô sont sculptés dans du bois de cyprès, toujours selon les même règles ancestrales.

En Asie, les arts dramatiques masqués traditionnels sont multiples. En plus du Japon, on en trouve en Chine, Corée, Indonésie, Thaïlande, Inde, Tibet, Népal… Le plus souvent, ces formes sont liées au sacré.

Au XVIIe siècle, c’est la commedia dell’arte qui réveille le masque en Europe. Jusqu’à aujourd’hui c’est d’ailleurs la forme de ses masques en cuir qui s’impose dans l’imaginaire collectif. Très expressifs, les masques de commedia répondent eux aussi à des codes de jeu précis. Le corps est dynamique, élastique, mû par une folle énergie. De par sa forme, le masque est bavard : ce sont des demi-masques qui laissent au comédien l’usage de sa bouche, et donc de la parole. Dès son origine, la commedia dell’arte est un art éminemment populaire.

Au XXe siècle, siècle des metteurs en scène et des pédagogues du théâtre, le masque a été infatigablement revisité et questionné. La découverte la plus innovante est sans doute celle du masque « neutre » (ou masque « noble ») par Jacques Copeau. Ce masque a tout d’abord une vocation pédagogique : en annulant le visage de celui qui le porte, il donne la parole à son corps. Les émotions sont vécues de manière plus intense, plus vraie. Le Carnaval de Bâle (Suisse) et son célèbre masque « larvaire » a aussi inspiré tout une génération de femmes et d’hommes de théâtre. L’étrangeté de ce masque, sa surdimension, amène l’acteur à s’inventer un autre corps, une autre dynamique, un autre rythme. C’est également l’étrangeté du masque qu’utilise Bertolt Brecht pour mettre une distance entre l’acteur et le public. Cette fameuse « distanciation » permet de développer le sens critique du spectateur plutôt que de le submerger d’émotions.

À New York, la mythique troupe du Bread and Puppet utilise aussi bien le masque que la marionnette dans ses mémorables spectacles qui sont joués et rejoués depuis les année 70. C’est parfois le corps masqué qui devient une marionnette géante, bouleversante d’une humanité bien particulière. Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil revisitent inlassablement les formes dramatiques asiatiques, grâce notamment aux masques de Erhard Stiefel. Les déclinaisons du travail théâtral masqué sont aujourd’hui multiples et n’ont pas fini de se réinventer.